Interview – Yan England : « 1:54 ouvre un dialogue entre les enfants et leurs parents »

Après son beau succès populaire au Québec, le poignant et touchant 1:54 sort en salles en France ce mercredi 15 mars. Rencontre avec son réalisateur passionné Yan England…

547-product1:54 montre très bien que, désormais, le phénomène du harcèlement ne s’arrête pas aux portes de la maison. Il est omniprésent, à portée de téléphone et d’ordinateur…

Le harcèlement a toujours existé. Les grands-parents qui viennent voir le film m’en parlent. Ce qui a changé effectivement, c’est qu’il était auparavant plus circonscrit à l’école. Aujourd’hui il nous suit dans la poche arrière. La première chose que l’on fait le matin, c’est de jeter un œil au portable. Le harcèlement, c’est la loi du silence : « Si j’en parle, cela va être pire, donc je n’en parle pas… » Les adultes se disent qu’ils sont capables de voir les choses mais quand leur enfant reçoit un texto, ils ne savent pas forcément ce qu’il contient. Toute la difficulté aujourd’hui est là, même si ce décalage a toujours existé. Le lycée est une micro-société. On y passe un temps fou, beaucoup plus qu’à la maison. On veut s’y intégrer, y être « comme les autres ». Au lycée, la différence fait de toi une cible, alors qu’à la fac on veut et on peut plus facilement assumer ses différences. Je connais bien cette réalité parce que je côtoie beaucoup de jeunes à travers les émissions que je fais au Québec ou les films que je fais, et parce que je suis également entraîneur de natation. J’ai toujours gardé un lien avec des jeunes. Ils me posent des questions et je parle beaucoup avec eux. C’est aussi grâce à cela que j’ai réussi à conserver une vérité dans le film.

J’ai réussi à conserver une vérité dans le film.

La prise de risque est totale avec cette fin laquelle, sans la révéler, est forcément sujette à controverse. Cela a sans doute été compliqué de la conserver telle quelle…

Je voulais montrer jusqu’où les choses peuvent aller. Fort heureusement cela ne finit pas toujours ainsi. Le film, c’est 3 ans d’écriture. Bien évidemment il y a eu beaucoup de questionnements. Les gens ont suggéré plutôt ceci ou plutôt cela… Mais mes productrices m’ont soutenu et la fin est toujours restée intacte. Cela crée un choc, une surprise. Beaucoup d’étudiants de collège et du lycée m’ont dit qu’ils en étaient « contents », non pas parce qu’ils sont heureux de ce dénouement mais parce qu’il est sincère. Et c’est très bien ainsi parce que souvent les adultes ont tendance à penser que c’est trop dur. Mais les jeunes sont capables de vivre les choses, de supporter ces émotions. L’adolescence est un moment de la vie où le ressenti est total. Les adultes tempèrent beaucoup plus, ils ont la maturité. La première peine d’amour, c’est la fin de tout, parce que l’on vit intensément. Au Festival d’Angoulême, le film a reçu le Prix du jury étudiants. C’était une belle récompense, parce qu’elle soulignait qu’on avait réussi un film juste jusqu’au bout. Mais je suis conscient que certains spectateurs peuvent en sortir outrés, tout comme ils peuvent être choqués de la violence des commentaires que Tim lit sous la fameuse vidéo le concernant. Ils ne peuvent ou ne veulent pas croire que cela puisse exister. Et ils sont d’autant plus étonnés lorsqu’ils apprennent que je n’ai pas moi-même « écrit » ces commentaires. Je suis allé directement les prendre sur Internet en changeant simplement les noms.

1_54 photo 297 -crédit Bertrand Calmeau

La scène la plus touchante, pour moi, est celle du père au chevet de Tim. Il le rassure sur son amour inconditionnel pour lui…

Cela montre bien que le film n’est pas uniquement destiné aux adolescents. Il s’adresse à tout le monde. Le film étant toujours du point de vue de Tim, beaucoup de parents prennent conscience de certaines choses. La plus belle récompense du film tient au fait qu’il ouvre un dialogue. Plusieurs ados sont retournés le voir avec leur famille. Un père me racontait d’ailleurs que, sur le trajet en voiture en revenant du cinéma, son fils lui avait avoué que ce que le film racontait était très proche de ce que lui-même vivait. A l’inverse, des parents sont allés voir 1:54 avec leurs enfants pour ouvrir le dialogue avec eux par la suite. Même si Tim reçoit le soutien et l’amour de beaucoup de gens, sa trajectoire montre qu’il ne faut jamais abandonner, parce qu’on ne sait pas tout.

Antoine-Olivier Pilon a toujours été votre premier choix pour Tim. Pourquoi ?

Mommy est un grand film de Xavier Dolan et Antoine y livre une performance formidable. Il crie, il s’exprime de manière extravertie… Dans 1:54, on voit un tout autre comédien, dans un rôle beaucoup plus mutique. Comme il dit, en terme de dialogues, cela a été son film le plus facile à apprendre (rires) mais le plus difficile émotionnellement. J’ai rencontré Antoine lors de la sortie d’un film intitulé Les Pee-Wee 3D. J’animais une émission durant laquelle il allait faire un saut à l’élastique du haut de la plus haute plateforme en Amérique du Nord au profit d’Amnesty International. Je parle avec lui en bas et je découvre un garçon réservé, timide. Je poursuis l’entrevue sur la plateforme et là il se tient droit, il a les yeux déterminés, prêt à sauter… Je découvre un autre mec ! A cette époque, l’histoire de 1:54 mijotait en moi et j’ai compris qu’il était mon Tim. Ensuite, tout au long des 3 années d’écriture, j’avais toujours Antoine en tête. Toutes les scènes que je pouvais écrire, je savais qu’il allait les faire et que cela allait être vrai. Je n’avais aucun doute. Quand j’ai enfin terminé le scénario, il était la première personne que j’ai approché. Je lui ai envoyé le scénario, on s’est rencontré, il m’a posé des questions et m’a dit qu’il avait besoin de prendre une semaine pour réfléchir. Il se demandait si, à 17 ans, il était prêt à interpréter tout cela. J’ai trouvé cette réaction d’une grande maturité. Lorsqu’Antoine se lance, il se lance pleinement. Une semaine après, il m’a dit qu’il était partant. A la première projection du film sa mère me racontait qu’Antoine était Tim tout au long du tournage. Il rentrait du plateau et s’enfermait dans sa chambre sans parler à personne. Ses parents ont eu un peu peur ! (rires)

Tout au long des 3 années d’écriture, j’avais toujours Antoine-Olivier Pilon en tête.

Robert Naylor, qui était formidable dans le 10 1/2 de Podz, est à nouveau impressionnant dans ce film. Surtout l’empreinte que laisse son personnage de Francis est importante…

Il est d’une authenticité… Il compose un personnage avec un regard honnête envers tous les sentiments. Tous les comédiens ont eu un dévouement incroyable envers le film. Sur le tournage, je leur demandais de s’appeler par les prénoms de leurs personnages. Ils n’avaient pas le droit de briser cette barrière. Antoine et Lou-Pascal Tremblay (ndlr : qui incarne Jeff, l’antagoniste principal de Tim) sont deux grands potes dans la vie, et ils n’avaient pas le droit pendant les 23 jours de tournage de se voir en dehors.

On ne révélera pas la fin mais le silence lorsque le générique démarre provoque un effet étonnant. Comme si vous souhaitiez que nous retenions notre souffle…

Lorsqu’un film se termine, on déclenche généralement la musique. Là, je voulais que la fin résonne un peu plus longtemps, au-delà, avec le spectateur. A ce moment-là, le film ne m’appartient plus. Toute cette histoire est racontée du point de vue de Tim. Il est de toutes les scènes, à l’exception de deux… dans lesquelles on parle de lui. Je voulais qu’on reste constamment à ses côtés, qu’on vive avec lui tout au long du récit. C’est aussi pour cela d’ailleurs que je voulais créer un sentiment d’immersion totale avec l’ambiance sonore et la musique. On a beaucoup travaillé le son à l’école par exemple. C’est la beauté du cinéma, on peut mettre le spectateur en plein centre de ce décor. Et à travers la musique, on voulait créer une progression pour suivre Tim dans toute la complexité de sa situation. Il ne faut pas non plus oublier les battements de cœur, présents tout au long du film et, à travers cela, la récurrence du temps, le chronomètre…

Je voulais créer un sentiment d’immersion totale avec l’ambiance sonore et la musique.

Charlie Chaplin et Steven Spielberg sont deux figures de cinéma importantes pour vous…

Je suis comédien depuis l’âge de 8 ans. En primaire, une institutrice me demande si je connais Chaplin. Je réponds que non. Elle me demande alors d’écrire une petite dissertation sur lui pour en apprendre un peu plus. J’ai fait les recherches et je suis tombé à la renverse. Réalisateur, scénariste, comédien, compositeur… Je ne me comparerai jamais à ce génie qui a fait des films tous différents les uns des autres qui, par des émotions, font réfléchir. Et ses œuvres sont encore valables aujourd’hui, il suffit de regarder Le Dictateur ou Les Temps modernes. Chaplin est mon idole. Le cinéma m’a toujours passionné mais c’est lui qui m’a fait comprendre que je pouvais aussi faire des films. Et puis il y a Spielberg. Il a fondé mon imagination à travers ses films, ses points de vue, sa façon de raconter les choses. Quand je suis nommé aux Oscars pour le court-métrage Henry en 2013, mon rêve c’est de le rencontrer pour le remercier. Après la cérémonie de récompense, je me rends à la soirée où sont réunis tous les nommés. Je le cherche, je le cherche… et je le vois en pleine discussion avec Daniel Day Lewis. Je ne veux pas les interrompre donc je me poste quelques mètres en retrait. Leur discussion se termine et je file dans sa direction. Je l’interpelle et là il me regarde. On discute alors 5 bonnes minutes. On parle de mon court-métrage, de ses films… Et à la toute fin, il me dit : « D’accord, maintenant va faire des films. » C’est la plus grande phrase que quelqu’un m’ait jamais dite. Le message est simple. Le lendemain matin, même si l’histoire de 1:54 trotte dans ma tête depuis un long moment, je me mets à l’écriture.

1_54 photo Y118 -crédit Bertrand Calmeau
Antoine-Olivier Pilon et Yan England sur le tournage de « 1:54 »

Propos recueillis par Thomas Destouches à Paris le 6 mars 2017

Remerciements à Yan England et Rachel Bouillon

Synopsis du film : « 1.54, c’est le chrono que doit atteindre Tim sur 800 mètres, s’il veut participer aux championnats. Mais à 16 ans, Tim a d’autres combats à mener… »

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